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18 janvier 2011 2 18 /01 /janvier /2011 18:14

Au cœur des crevasses

     Alors que je m’apprête à atterrir, j’aperçois une forme étrange. Je reprends de l’altitude et m’en rapproche.

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Vue de plus près…

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…et d’encore plus près :

P1020418     Cette « fleur d’érosion » (joli nom pour un phénomène qui l’est moins) présente une « tige » qui mesure 200 mètres et des « pétales » d’une longueur allant jusqu’à 100 mètres ! Sa profondeur atteint en certains endroits 30 mètres ! Le volume de terre manquant est colossal.

DSC06129     En marchant dans cette formation, on comprend très bien le déroulement du phénomène. La pluie s’abat sur ce terrain légèrement en dévers. L’eau, en creusant des rigoles, transporte les particules les plus fines (argiles-limons). Le transport des particules de densité moyenne agit à la manière d’une éponge abrasive sur le sol, ce qui amplifie sa dégradation. Restent, par gravité, les éléments les plus lourds comme les sables et les cailloux de granite.

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     Aucun arbre n’est planté dans la prairie afin de limiter la dégradation du sol. Seuls quelques arbres colonisent le milieu de façon naturelle. D’année en année, l’érosion ne cessera de s’accroître.

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     La zone de Cauquenes fait partie des recherches menées dans le cadre du programme DESIRE. Il s’agit d’un important projet de recherches scientifiques sur les stratégies de restauration des terres dégradées. D’initiative européenne, DESIRE regroupe 28 partenaires de l’Union Européenne, du Maroc, de la Tunisie, de la Chine, des Etats-Unis, de l’Australie, de la Russie et du Chili, travaillant sur dix-huit sites de recherche à travers le monde. Le projet est doté d'un budget de huit millions d'euros pour une durée de cinq ans. Il étudie les façons de lutter contre la dégradation des sols à partir de différentes situations locales. Ceci permet de déterminer les meilleures stratégies à mettre en œuvre.

logo DESIRE     Sur les dix-huit sites de travail, divers problèmes ont été identifiés et font l'objet de recherche de stratégies de sauvegarde des terres. Il s'agit des problèmes de sécheresse, de feux de forêts, de surpâturage, de salinisation et d’érosion hydrique ou éolienne. Le laboratoire dans lequel travaille Juan Alberto Barrera participe au projet.

P1020059     Pour contrer l’érosion, des programmes gouvernementaux sont en place. Mais le mal est déjà fait et les remèdes semblent longs et démesurés face à l’importance du phénomène. Plusieurs organismes d’états comme le SAG (Servicio Agrícola y Ganadero) et la CONAMA (Comision Nacional del Medio Ambiente) ou encore l’INIA travaillent sur ce sujet. Le SAG met en application des programmes de sauvegarde des sols dégradés. Il subventionne également des agriculteurs pour participer au rétablissement des sols érodés en instaurant des mesures protectrices du sol dans leurs itinéraires techniques.


      La sylviculture, avec notamment les plantations de pins, est concernée par ces programmes.

 

Une exploitation sylvicole impressionnante


DSC06186     L’hospitalité chilienne fait tellement bien les choses que Carlos, l’homme qui a proposé de m’héberger, est administrateur d’une exploitation forestière de 1 500 hectares ! Il m’a proposé de la visiter. J’ai pris grand plaisir à découvrir cette sylviculture pour le moins impressionnante.

P1020276     Ce bois se trouve à 8 kilomètres de Cauquenes. Il est composé de 1 200 hectares de pins, de 300 hectares d’eucalyptus (lien vers un article précédent traitant des eucalyptus) et de deux lagunes. Sur cette photo aérienne, les eucalyptus apparaissent en gris, près de la piste d’avion ; tout le reste, c’est du pin ! Avec le travail de dix employés, les bois trouveront, une fois coupés, plusieurs débouchés. L’eucalyptus sera transformé en cellulose entrant dans la composition de la pâte à papier. Le pin a quant à lui deux débouchés. Les résineux ayant un tronc tordu sont destinés au même marché que le bois d’eucalyptus. Les plus droits seront vendus pour la confection de planches.

DSC06216     Le gouvernement finance à hauteur de 70% le coût d’implantation des arbres sur les zones sujettes à l’érosion. Il s’agit principalement des surfaces en pente. L’attribution des aides est soumise à deux conditions. Le propriétaire doit s’engager à replanter lorsque les arbres arrivés à maturité sont coupés, dans un objectif de durabilité des mesures anti-érosion. Ensuite, il a pour obligation de réaliser un travail du sol contre les risques d’érosion. Il s’agit par exemple de creuser des fossés orientés perpendiculairement à la pente afin d’éviter que le ruissellement des eaux pluviales ne transporte le sol :

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      Malgré ces mesures préventives, la dégradation des sols est inévitable en certains endroits :

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      Le pin est un arbre à la croissance facile qui demande peu d’entretien. Selon Carlos, la principale difficulté réside dans la composition des sols, parfois très hétérogène au sein d’une faible surface. Ceci engendre des vitesses de croissance des arbres différentes. L’objectif est de produire des pins dont le tronc présente le moins de nœuds possible. Ils seront de cette manière vendus plus chers. C’est grâce à la qualité de la taille que ce paramètre peut être modifié.

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L’itinéraire technique de l’exploitation du pin est relativement simple :

·         A l’année 0, les pins sont plantés suivant une densité de 1 200 pieds par hectare.

·         Six ans plus tard, 200 arbres par hectare sont coupés. Ceci permet d’une part d’en vendre une partie et « d’accélérer » ainsi le retour sur investissement. D’autre part, l’éclaircissement réalisé améliore la croissance des arbres restants. Ceux-ci sont simplement taillés.

·         A l’année 12, 400 pins supplémentaires sont coupés.

·         A 20 ans, il reste 450 pins par hectare. Ils sont tous coupés.

·         Il manque 150 arbres par hectare qui correspondent aux pertes par érosion, sécheresse ou maladies.

 

L’itinéraire technique de l’eucalyptus est encore plus simple que celui du pin. Après l’implantation de 1 200 pieds par hectare et 12 années d’attente, l’arbre est coupé. Cette espèce présente la particularité de repousser à partir de la souche pour redonner un arbre qui sera également coupé au bout de 12 ans. L’eucalyptus supporte trois cycles de coupe/repousse.

Cependant, la culture d’eucalyptus est la cible du « Gorgojo del eucalipto » à l’origine de la peste de l’eucalyptus.

Gorgojo     Cet insecte (Gonipterus scutellatus) originaire d’Australie est considéré comme le pire ravageur  qu’aient connu les plantations d’eucalyptus. De son état larvaire à l’âge adulte, il se nourrit du feuillage des arbres, causant alors une baisse notable de la photosynthèse. Le Gorgojo commence sa colonisation par la cime de l’arbre puis descend au fur et à mesure sur les étages inférieurs. Carlos me montre les trous dans les feuilles.

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     Dans le meilleur des cas, la croissance de l’arbre est réduite ; dans le pire, l’arbre meurt.

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     La présence de l’insecte a été détectée au Chili pour la première fois en 1998 dans la région V. Malgré des mesures de lutte, c’est six ans plus tard, en 2004, que l’insecte s’attaque aux plantations de la région VII où je me trouve actuellement. Aujourd’hui, toutes les sylvicultures d’eucalyptus du pays sont concernées.

     Pour lutter contre ce ravageur défoliateur, des traitements chimiques épandus par avion existent, mais n’ont toujours pas endigué la présence de l’insecte. Il y a aussi une solution plus naturelle comme le lâché d’une guêpe parasite appelée Anaphes nitens.

guepe     Cette petite guêpe d’un millimètre de long inocule son œuf dans celui de l’insecte, empêchant son éclosion. Malgré cette technique de lutte biologique, à répéter tous les 3 à 4 ans, le nombre d’insectes est tel que le Gorgojo continue de coloniser les plantations.

 

     Les pins les plus âgés du domaine ont 14 ans. A l’issue des deux itinéraires techniques décrits précédemment, et si le marché se maintient, Carlos peut espérer vendre le stère de pin à 22 000 pesos, et celui d’eucalyptus à 24 000 pesos ; soit respectivement 35 et 39 € par m3 de bois.

 

DSC06192     Afin de sécuriser la production, la plantation forestière est dotée de deux lagunes qui se remplissent naturellement avec l’eau de pluie. Elles constituent une réserve d’eau en cas d’incendie.

P1020220la foto 4     Deux camions de pompiers appartenant à la propriété viennent s’approvisionner dans les lagunes si besoin est. Pour un feu de grande ampleur, il y a aussi un canadair ; d’où la présence de la piste de décollage en plein centre de la plantation. Voici une vidéo d'une simulation organisée par Carlos :

 

 

Vue de la propriété surplombée par un nuage.

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La fabrication de la brique

 

     A la périphérie de Cauquenes, il est fréquent de rencontrer de petites fabriques artisanales de briques.

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     Les briques sont faites de terre et d’eau. Après avoir récupéré de la terre sur les versants de la cordillère de la côte, elle est tamisée afin d’en éliminer les impuretés ou les éléments les plus grossiers. Elle est ensuite versée sur cette plate-forme :

DSC06066     Au fur et à mesure qu’on y ajoute de l’eau, un cheval tourne afin d’homogénéiser le mélange avec ses sabots. Ensuite, les blocs sont moulés sur la structure de gauche et sont séchés au soleil. Les briques sont orientées différemment car chaque face du parallélépipède doit sécher :

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     Pendant 36 heures, les briques sont empilées et cuites au feu de bois dans un grand four :

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     La surveillance et l’approvisionnement en bois (du pin) sont permanents :

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     Si la place dans le four est insuffisante, un autre four « à l’air libre » est allumé. Il est constitué des briques elles-mêmes :

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     Une brique se vend 100 pesos, soit 0,16 €.

 

 



 

Conclusion

 

     Les enjeux auxquels est confrontée la région de Cauquenes témoignent du rôle et de la place de l’homme. A cause de la déforestation massive de la forêt native, il fut à l’origine du phénomène d’érosion. La dégradation des sols a atteint un niveau de gravité considérable. Aujourd’hui, c’est paradoxalement lui seul qui apparaît comme solution au problème. En développant intelligemment les activités agricoles, sylvicoles et viticoles pour qu’elles constituent un frein à l’érosion, l’homme a la capacité de limiter la perte de sol.

     Berceau de la viticulture chilienne, la vallée de Maule est devenue la plus grande région viticole du pays puisqu’elle représente 1⁄4 du vignoble national. La production totale de vin s’élève à 8 millions d’hectolitres, ce qui fait du Chili le cinquième pays exportateur de vin dans le monde.

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A bientôt pour une destination au bord de l’océan !

 

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commentaires

P
<br /> Magique....<br /> <br /> <br />
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