Le travail de la vigne
Les vignes en-dessous du chemin sont celles que loue Louis-Antoine. Il utilise principalement du Pais. Ce cépage dorénavant considéré comme autochtone a été importé par les Conquistadores. Il est le cépage traditionnel du Chili. Cependant, n'étant pas un cépage "aristocratique", peu de producteurs le valorisent. Sur une parcelle de 13 hectares, 90 tonnes de raisins ont été vendangées, soit 60 000 litres de jus. Le rendement moyen des parcelles de Louis-Antoine s’établit à 4 500 litres par hectare.
Avec un système d’irrigation, le double serait atteint. Mais, par conviction personnelle, le vigneron se refuse d’utiliser une ressource devenue fragile et rare. Cet engagement pourtant responsable ne lui permet pas de bénéficier des aides de l’état chilien qui subventionne généreusement des installations de systèmes d’irrigation.
Au Chili, la maturité d’une vigne est atteinte entre 10 et 15 ans. Elle continue à produire jusqu’à 150 ans d’âge et au-delà pour certaines plantations de Pais ! Il faut ensuite l’arracher et la replanter. En France, une plantation de 80 ans est déjà vieille. Fait étonnant, le Chili demeure jusqu’à présent épargné par le phylloxera, en raison entre autres de son climat et de son isolement géographique. Le vin chilien est donc toujours produit à partir d’authentiques pieds de vignes pré-phylloxera, appelé « franc de pied », et non à partir de porte-greffes (racines américaines résistantes à cette peste de la vigne) comme c’est le cas en France.
Avant la récolte du raisin, la vigne fait l’objet d’une attention toute particulière. Cette parcelle de Cabernet-Sauvignon a 12 ans. Baptiste en vérifie l’état de santé : est-elle suffisamment aérée et équilibrée ? Y-a-t’il des maladies ?
La station de cette vigne, à la différence de la majorité de celles du Chili, est en « Guyot double », c'est-à-dire qu’elle est à hauteur des hanches, contrairement à la station en « pergola » qui permet de cueillir le raisin à deux mètres au-dessus du sol. En plus d’un important travail de taille des pieds de vigne, les allées sont hersées. Ce travail du sol permet une meilleure pénétration de l‘eau. Il détruit aussi les racines superficielles ce qui engendre un développement des racines en profondeur, là où l’eau est plus disponible.
Cette vigne est du Carmenère. Ce cépage originaire du bordelais est aujourd'hui très rare en France. La plantation a subit un « coup de charge ». Avec une période d’humidité et de chaleur, la croissance de l’entre-cœur a été fulgurante, donnant ainsi cet aspect touffu. Il faut maintenant la tailler "en vert", c'est à dire retirer les excès de croissance.
Il s’agit d’une vigne de Pais laissée à l’abandon pendant des années. L’an passé, Louis-Antoine a décidé de la louer et de la remettre en état. L’évolution est prometteuse, seuls quelques problèmes d’acariose subsistent : des acariens pondent leurs œufs sous les feuilles qui deviennent cloquées.
La plantation présente la particularité de cohabiter avec 80 oliviers. Ce sont les points visibles à gauche du cours d’eau ci-dessous. Cette polyculture constitue sans aucun doute un atout pour la biodiversité et pour le revenu de l’exploitant.
Lors de mon passage à Cauquenes la troisième semaine de décembre, la vigne était en fin de floraison. Puis suivra le développement des fruits et la fermeture de la grappe à la fin du mois de janvier. Elle aura alors sa forme définitive. Pendant l’étape de véraison, les baies changeront de couleur. La vendange aura lieu à la fin du mois de mars.
La viticulture permet, en plus de la production de vin, une protection des sols de la région. Ceux-ci sont effectivement très fragiles à cause d’un phénomène de grande ampleur.
Le problème de l’érosion
Lors de la précédente étape à Chillán, j’avais rencontré le professeur Juan Alberto Barrera de l’université d’agronomie de Concepcion.
Ce chercheur en sciences du sol m’a fait un constat alarmant de l’état des sols du Chili et en particulier de ceux de la région de Cauquenes. Comme le montre cette image, Cauquenes est la zone la plus érodée de la 7ème région. La couleur rouge correspond au niveau d’érosion le plus élevé.
L'érosion est la cause principale de la dégradation des sols au Chili. De par la conformation topographique du pays, l’érosion, principalement d’origine hydrique, sévit dangereusement. Lors des épisodes pluvieux d’hiver (juin-juillet), les deux chaînes de montagnes que sont la Cordillère des Andes et celle de la côte, causent des ruissellements à l’origine de départs de sol. Au total, 46% de la surface du pays est affecté par l’érosion à des degrés différents. 4% des sols présente une érosion grave, 12% est fortement érodé, 20% modérément et 10% se trouve dans un état de légère érosion.
Les sols de la région du Maule, à Cauquenes, constituent le Secano Interior. Ce sont des sols parfois très rouges (présence de fer). La composition des zones en dénivelé est dominée par le granite ; celles des fonds est argilo-limoneuse.
La région était originellement recouverte d’une forêt native. Parmi de nombreuses espèces, on trouvait le boldo (Peumus boldus) et l’espino (Acacia caven).
Dans les années 1950, le secteur a été complètement défriché au profit de la culture de blé et, qui plus est, de la monoculture de blé. Les sols se sont progressivement retrouvés à nu. Leur teneur en matière organique et en macro éléments, gages de stabilité, n’a cessé de diminuer. Selon Juan Alberto Barrera, certains endroits ont maintenant perdu l’horizon A et B (couches de sol). C'est-à-dire qu’il manque jusqu’à deux mètres d’épaisseur de sol et que l’horizon C se retrouve en surface !
Pendant le vol, il n’y avait pas besoin de chercher les signes d’érosion. Ils étaient immédiatement détectables :
La présence des arbres permet de se rendre compte de l’étendue de la marque d’érosion au cœur de ce champ de céréales. La perte en surface cultivable n’est pas négligeable.
Aux abords de la ville, ces veines sont des marques d’érosion colonisées par la végétation :
La végétation, avec les racines et la matière organique, participe à maintenir le sol. Elle en assure sa cohésion. Sans elle et en présence d’un dénivelé, le risque d’érosion est élevé :
La faille à gauche de l’image est en érosion. Au centre, les arbres permettront, au fur et à mesure de leur croissance, de contenir le phénomène.
Voici un autre exemple de contention de l’érosion. Autour d’une crevasse, des pins ont été plantés. Mais, de l’autre côté du chemin en haut à gauche, on devine que le phénomène continue. A droite, les rayures vertes constituent une jeune plantation de pins. A la manière des courbes de niveau d’une carte topographique, l’orientation des allées de pins se fait perpendiculairement au relief afin, là aussi, d’empêcher le départ de sol.
Les eaux de ruissellement érodent le sol en rejoignant la rivière, comme au centre de l’image. Sur la photo suivante, on se rend davantage compte de l’ampleur du phénomène touchant cette zone. Le champ clair permet de situer et d’orienter l’image par rapport à la précédente :
Sur cette parcelle, étaient plantés des pins qui, arrivés à maturité, ont été coupés. Cela laisse apparaître la veine colonisée par la végétation.
La dernière partie arrive bientôt.